L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche

Les aventures de Don Quichotte de la Manche sont contées en 2 tomes dont les parutions sont espacées de 10 ans. Je comptais ainsi lire le premier volume, en faire un article et entamer le second ultérieurement. Cependant, je n’ai pas réussi à quitter la compagnie de ce chevalier pittoresque quand les dernières pages de la première partie de ses péripéties se sont achevées. J’ai directement enchainé avec la deuxième partie et c’est donc sur l’ensemble de l’œuvre, écrite par Miguel de CERVANTES, que mon avis portera dans cette chronique. Veuillez dès lors excuser la longueur de cette dernière.

Résumé : Alonso Quichano est féru des romans de chevalerie au point qu’un jour il décide de devenir chevalier errant sous le nom du Chevalier Don Quichotte. Il part alors sur son fragile destrier, vêtu d’une étrange armure, à la recherche d’aventures afin de venir en aide aux nécessiteux et d’envoyer ses ennemis vaincus faire son éloge auprès de sa Dulcinée. Il engage rapidement un voisin, Sancho Panza, comme écuyer qui l’accompagne dans ses exploits. Mais la frénésie de notre héros est telle qu’il voit des châteaux en lieu et place d’auberges et qu’il prend des moulins pour des géants. Cela ne l’empêche pas de tenir des discours plein de bon sens. La perplexité de ce personnage tient en ce lien étroit entre folie et sagesse.

Avis : Miguel de Cervantes condamne ici les romans de chevalerie dont des centaines appartenant au héros finissent sur le bûcher afin de les lui ôter de la vue, espérant lui rendre ses esprits. Mais les exploits des grands chevaliers sont si encrés dans la tête d’Alonso Quichano, alias Don Quichotte, qu’il n’a plus besoin de les lire pour s’en souvenir. Il les connait par cœur et voit dans ses aventures des similitudes avec d’autres récits célèbres, accentuant sa certitude d’être un chevalier errant. Dès lors, les péripéties se succèdent et le conseil qu’un ami de l’auteur lui exprime dans le prologue est suivi à la lettre : Tâchez aussi qu’en lisant votre histoire le lecteur mélancolique ne puisse s’empêcher de rire, ni le rieur de s’esclaffer, que l’homme simple ne s’ennuie pas, que l’homme d’esprit en admire l’ingéniosité, que les personnes graves ne la méprisent point, que les sages ne lui refusent pas leurs éloges. Le liseur ne s’ennuie pas une seconde au côté de Don Quichotte. Malgré quelques longueurs dans des discours plus théoriques ou de rares répétitions, le récit ne laisse point de répit au lecteur qui, le sourire aux lèvres, en redemande.
L’intrigue est portée par une plume que certains trouveront désuète, mais qui a un charme certain et sied parfaitement au roman. Les aventures de Don Quichotte de la Manche ne seraient pas ce qu’elles sont si elles n’étaient contées par l’écriture de l’auteur, caractérisée par sa richesse et sa galanterie. Un parlé qui ne se retrouve plus dans les ouvrages d’aujourd’hui et qui englobe le récit d’une forme de nostalgie dans laquelle il fait bon se blottir et qu’il est difficile de quitter. Sentiment renforcé par les lettrines de début de paragraphe ainsi que les noms donnés aux différents chapitres (ex. : Où l’on raconte de quelle plaisante manière don Quichotte fut armé chevalier ; Où l’on raconte ce qu’on y lira). Évidemment, l’époque évoquée est différente de celle de maintenant et certains propos sur l’esclavage ou autre peuvent déconcerter et choquer, mais ils n’entravent pas l’ensemble de la lecture. Il faut garder en tête que les mœurs différaient de ceux d’aujourd’hui.
Si le héros de l’histoire en fait le succès, ce dernier repose également et non moins sur le personnage de Sancho Panza, l’écuyer. Celui-ci, dont la folie ou l’aveuglement dépasse parfois celui du maître, use et abuse de proverbes donnant lieu parfois à des phrases étonnantes. De plus, son manque de connaissance entraîne parfois la non compréhension de certains mots qu’il comprend de travers. Cela donne lieu à des réparties farfelues qui enchantent le lecteur.
Les apartés du narrateur à destination du lectorat sont également divertissants et n’hésitent pas à mettre en avant des défauts du récit ou des erreurs glissées dans le premier tome. L’auteur n’a pas peur de l’autocritique, ce qui est tout à son honneur. Cependant, une particularité largement appréciée du premier tome en fait les frais dans le second. En effet, la première partie des aventures de Don Quichotte est parsemée de nouvelles n’ayant pas un lien direct avec notre héros. Celles-ci, en plus d’être de qualité, apportent une touche de fraîcheur au récit, une parenthèse agréable. Malheureusement, Miguel de Cervantes n’est pas du même avis et condamne ces histoires annexes dans la seconde partie. Celle-ci est d’ailleurs dénuée de tels à-côtés. Dommage.
Bref, beaucoup d’éléments bien pensés rehaussent l’intérêt de ce classique au cours de sa lecture et en garantissent le succès. Il s’agit là d’un incontournable !

Citations : (la sélection a été difficile)
Tome 1 :
– « […] il n’y a point de souvenir que le temps n’efface, ni de douleur dont la mort ne vienne à bout. »

– « Car on sait que chez certaines femmes la beauté a ses jours et ses raisons, qu’un rien peut la réduire ou l’accroître ; et il est normal que les mouvements de l’âme l’augmentent, la diminuent, ou souvent même la détruisent. »

– « […] car la vertu est davantage persécutée par les méchants qu’elle n’est aimée des gens de bien. »

– « Les fictions doivent être à la portée de ceux qui les lisent, et écrites de manière à rendre acceptables et faciles les choses qui ne le sont pas ; de sorte que, tenant sans cesse l’esprit en suspens, elles provoquent l’admiration et la surprise, l’émotion et l’intérêt, et qu’à les lire on se sente à la fois réjoui et captivé. »

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Tome 2 :
– « L’abondance, même dans les bonnes choses, peut nuire, tandis que la rareté donne du prix même à celles qui sont mauvaises. »

– « Il n’est livre, si mauvais soit-il, qui ne contienne quelque chose de bon. »

– « Je répondrai à cela que la naissance s’hérite, mais que la grandeur s’acquiert, que ce sont les vertus qui anoblissent le sang, et que l’on doit estimer davantage l’homme humble et vertueux que le noble vicieux, quel que soit son haut rang. »

– « Vouloir qu’en cette vie les choses durent toujours dans l’état où elles sont, c’est prétendre l’impossible. On dirait plutôt qu’autour de nous, c’est la ronde, que tout y va en rond : au printemps succède l’été, puis vient l’automne, suivie de l’hiver, auquel succède à nouveau le printemps. Ainsi va la roue du temps, qui jamais n’arrête de tourner. Seule la vie humaine court à sa fin, plus rapide que le temps, sans espoir de recommencement, sinon dans l’autre vie, qui n’a point de limites. »

– « Béni soit celui qui a inventé le sommeil : manteau qui couvre toutes les pensées des hommes, aliment qui supprime la faim, breuvage qui étanche la soif, feu qui garantit du froid, froid qui tempère la chaleur ; bref, monnaie universelle avec laquelle on peut tout acheter, balance où pèsent d’un poids égal le berger et le roi, le sot et le sage. »

Références : L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche : tome 1 & tome 2 / Miguel de Cervantes (Seuil ; Points : P919, P920)

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